Retour sur la première Journée des Jeunes Chercheur.e.s des GIS en études aréales

Un bilan de la journée "Corpus écrits, oraux, artistiques : les humanités numériques pour tou.te.s ?" à travers les voix de Mercedes Volait et de Vy Cao

Organisée par les Bureaux des jeunes chercheur·e·s des GIS Asie, GIS Études Africaines en France, GIS MOMM et du consortium DISTAM, cette journée d’étude visait à créer un espace de rencontre et de réflexion pour les jeunes chercheur·e·s en études aréales autour des problématiques liées aux humanités numériques. C’était aussi un espace pour (s’)initier ou (s’)interroger sur ce sujet aux outils numériques.

Cette rencontre, qui a alterné tables rondes et présentations de travaux de recherche, et fait dialoguer jeunes chercheur.e.s et chercheur.e.s avancé.e.s, a proposé des réflexions autour d’une (re)-définition de l’expression « humanités numériques », et a mis en exergue différentes problématiques, depuis les nouvelles modalités méthodologiques offertes par les humanités numériques jusqu’aux questionnements éthiques qui leur sont liés. 

"Pour moi, les SHS ne peuvent plus ignorer les nouveaux outils numériques. Il s’agit moins de « sauter le pas » que de documenter quotidiennement nos pratiques de recherche pour nous rendre compte que le numérique est partout."
Vy Cao
Membre du Bureau des jeunes chercheur·e·s de Distam
Doctorant à l’Institut de recherches asiatiques (CNRS, UMR 7306) Faculté des Arts, Lettres, Langues et Sciences Humaines Aix-Marseille Université

Vy Cao, vous avez participé au comité de pilotage qui a organisé cette rencontre : quel est votre bilan de la première journée des jeunes chercheurs ?
Vy Cao : J’ai trouvé cette première édition passionnante. En termes d’interventions, je crois que nous avons réussi à donner un espace aux jeunes chercheurs.ses pour parler de leur sujet. Nous sommes parvenus à un programme relativement équilibré qui répond à la fois aux exigences scientifiques et aux avis des différentes personnes du comité de pilotage (…). En termes d’échanges, je trouve que la présence de chercheurs.ses seniors et des personnels de la recherche comme des ingénieurs a permis des rencontres et des discussions intéressantes. Globalement, j’ai reçu des retours très positifs de la part des invités.es. 

Comment envisagez-vous l’avenir des Sciences Humaines et Sociales (SHS) à la lumière des changements induits par les nouveaux outils numériques ?

VC : Pour moi, les SHS ne peuvent plus ignorer les nouveaux outils numériques. Il s’agit moins de « sauter le pas » que de documenter quotidiennement nos pratiques de recherche pour nous rendre compte que le numérique est partout. Savoir compter est déjà, et littéralement, « numérique » ; traiter des corpus de dizaines de milliers de documents requiert la capacité de trier et d’optimiser l’organisation de son « espace de travail numérique », qui peut être tout simplement notre ordinateur. Néanmoins, je ne suis pas d’avis pour réduire le numérique, le computationnel ou le digital aux simples savoirs lire, compter et écrire. En effet, il existe désormais des outils qui permettent de structurer des centaines de milliers de données, d’en faire des requêtes vraiment affinées avec des filtres multi-facettes, de les localiser sur des cartes et des plans, ou encore de les connecter les unes aux autres. Ce sont des outils qui facilitent le travail de recherche et qui permettent, parfois, des hypothèses nouvelles. L’existence de ces outils est comparable à celle de l’ordinateur ; bien qu’il soit créé au départ pour répliquer ou améliorer nos pratiques d’écriture, de lecture et de calcul, il n’est plus utilisé que pour ces tâches-là.

La question se complexifie lorsque l’on ajoute dans l’équation les études aréales. Par exemple, la numérisation puis les nouveaux outils de traduction automatique comme ChatGPT a permis aux jeunes chercheurs.ses et étudiants.es d’accéder à des textes écrits dans les langues qui ne sont pas les leurs : anglais, français, allemand, mandarin, portugais, vietnamien, etc. De ce point de vue, c’est une ouverture formidable vers la recherche internationale et, parfois, une sortie de la censure dans certains pays. La visio-conférence et les possibilités d’enquêter en ligne, comme nous l’avons vu pendant notre JE, sont aussi des outils dont il serait difficile d’ignorer. 

Comment percevez-vous l’impact des humanités numériques sur votre recherche et votre domaine spécifique ?

VC : L’apprentissage des langages de programmation comme R, même de manière très rudimentaire, a modifié la manière dont j’organise mes données de recherche. Le premier changement « numérique » que j’ai eu, c’était d’abord celui de savoir comment entrer des données sur un tableur Excel (integer, string) !

De l’autre côté, le volet numérisation des HN a sauvé ma thèse pendant la période de pandémie. Sans les documents numérisés par les grandes bibliothèques et archives, il m’aurait été impossible de continuer ma thèse.

Quels enjeux spécifiques liés aux humanités numériques considérez-vous comme prioritaires ou particulièrement cruciaux pour les jeunes chercheurs actuels ?

VC : Pour moi, l’enjeu le plus important est d’être bien informé de ce qu’il existe en termes d’outils, de réseaux, de projets et d’équipes de recherche, etc. Cette connaissance permet de faire le tri en amont et d’être éventuellement accompagné.e par des personnes compétentes, ou de discuter avec celles qui ont les mêmes questions et les mêmes problèmes. Car il me semble que l’un des risques pour les jeunes chercheurs.ses est de se sentir perdus.es et découragés.es face à des offres d’outils abondantes Parfois, la solution à notre problème peut être très simple, et l’une des intervenantes à notre JE l’a bien expliqué : il ne sert à rien d’utiliser un outil ultrapuissant pour réaliser des tâches que peut faire un tableur. 

Mercedes Volait, quel est votre bilan de la première journée des jeunes chercheurs ?

Mercedes Volait : La journée était très intéressante. Elle a permis d’échanger de manière très ouverte et constructive à propos des innombrables défis posés par le numérique, plus concrètement le numérique ouvert, en SHS. Elle a montré d’autre part une connaissance inégale des bonnes pratiques en matière d’ouverture et de partage des données de la recherche, et des raisons qui motivent à agir en ce sens. De ce point de vue, il y a un effort conséquent à faire pour que la jeune, comme la moins jeune, recherche s’approprie cette dimension du numérique. 


Comment envisagez-vous l’avenir des Sciences Humaines et Sociales (SHS) à la lumière des changements induits par les nouveaux outils numériques ?

MV : Ni plus ni moins radieux qu’avant l’arrivée du numérique. Il faut surtout raison garder face à l’innovation technologique. Il faut profiter des possibilités qu’elle ouvre (un élargissement considérable des données de la recherche, un accès distant facilité), tout en étant vigilant face aux biais et dérives possibles, dont la marchandisation de la connaissance, par le biais des systèmes propriétaires (corporate), n’est pas le moindre. Il faut se donner les moyens d’en maîtriser les avancées sans en ignorer les pièges. Bref, une veille technologique serrée est indispensable pour tirer le meilleur parti de la « numérisation du monde ».

Quelle institution (universités ou organismes de recherche) devrait se concentrer davantage sur le développement de compétences liées à la transformation numérique, notamment la programmation et le codage ?

MV : La programmation et le codage ne sont qu’une petite partie de la transition numérique des sciences humaines et sociales ; les enjeux et les pratiques de la science ouverte sont tout aussi, sinon plus, importants. Le CNRS fait déjà beaucoup pour ses personnels via la formation continue, ou via les dotations attribuées à l’IR* Huma-Num et à ses consortia. Mas cela ne peut remplacer la formation initiale qui relève des universités ou de l’enseignement culturel. On voit bien que les élèves des Écoles d’art qui sont formés au numérique au cours de leur scolarité ont globalement une littéracie digitale bien meilleure que celle des étudiants qui n’en entendent souvent pas parler avant le doctorat. Une initiation dès la licence serait une excellente chose.

 

"[Les jeunes chercheurs] peuvent ainsi contribuer à faire remonter des besoins, à imaginer des rencontres, à inventer des projets. Toutes leurs idées pour la prochaine Ecole d’été qui se tiendra du 8 au 12 juillet 2024 à L’Arbresle, près de Lyon, sont bienvenues.."
Mercedes Volait
Membre de la direction collégiale du consortium Distam
Directrice de recherche émerite au CNRS, membre du laboratoire InVisuspécialiste de l’histoire architecturale et patrimoniale de l’Egypte contemporaine

Comment Distam envisage-t-il de jouer un rôle dans l’accompagnement des acteurs vers cette transition numérique, et quelles initiatives sont prévues à cet effet ?

MV : Distam accompagne sur le plan numérique la communauté des études aréales de plusieurs manières. D’abord par son travail de veille et de diffusion de l’information pertinente à ce sujet via sa lettre d’information mensuelle et son carnet, mais aussi par les conseils donnés à ceux qui sollicitent le consortium. Ensuite par les manifestations organisées tout au long de l’année, avec comme point d’orgue les 5 jours de l’École d’été annuelle, qui permettent à des collègues d’entamer un parcours de montée en compétence, et à d’autres de consolider ou développer leurs acquis. Enfin par l’aide technologique apportée, en faisant appel à des prestataires spécialisés, aux collègues ayant entrepris de mettre en œuvre des projets de traitement ou de mise à disposition de données dans des formats ouverts et pérennes. Un soutien spécifique du MESR a été obtenu à cet effet.

Selon vous, en tant que chercheur, quel rôle pensez-vous que le Bureau des Jeunes Chercheurs de Distam devrait jouer face aux transformations imposées par les humanités numériques ?


MV : C’est une très bonne chose que les jeunes chercheurs se mobilisent et échangent entre eux afin de maîtriser le numérique, plutôt que de le subir. Ils peuvent ainsi contribuer à faire remonter des besoins, à imaginer des rencontres, à inventer des projets. Toutes leurs idées pour la prochaine Ecole d’été qui se tiendra du 8 au 12 juillet 2024 à L’Arbresle, près de Lyon, sont bienvenues.